Les révolutions ne se font pas en un jour.
Le 14 juillet 1789, Louis XVI en rentrant de la chasse à Versailles avait inscrit un seul mot dans son journal personnel : «Rien». Rien, car le roi serrurier était revenu bredouille : pas le moindre gibier. Il lui fallut attendre de marcher vers la guillotine, le 21 janvier 1793, pour se rendre compte que le 14 juillet 1789 ne s’était pas résumé à une partie de campagne infructueuse.
Dans l’actualité récente, deux faits distincts, a priori sans rapport, illustrent la profonde révolution que nous sommes en train de vivre.
Ikéa, le géant du meuble d’origine suédoise (planqué sous l’épaisse couverture d’une fondation néerlandaise pour des raisons fiscales) réfléchit à une modification de son article vedette : la bibliothèque Billy. Billy est une légende. Ikéa, depuis 1979, en a vendu 41 millions d’exemplaires à travers le monde. Mises bout à bout, toutes ces étagères bon marché s’aligneraient sur 70.000 kilomètres, presque deux fois le tour de la terre.
Billy est la plus «basique» mais aussi l’archétype contemporain des bibliothèques. Billy est le premier réceptacle des premiers bouquins. Des millions de lycéens et d’étudiants fauchés ont un jour sorti une Billy de son carton. Ils l’ont patiemment assemblée (en essayant de suivre la notice) et ils y ont exposé leurs livres.
Mais Ikéa connaît ses clients. La firme néérlando-suédoise a constaté que l’inusable Billy était de moins en moins utilisée pour ranger des volumes brochés ou reliés. On y place des bibelots, des objets hétéroclites et quelques rares ouvrages imprimés sur du papier. Billy, dans les pays développés comme les Etats-Unis, est aussi le meuble sur lequel on pose sa «tablette» (I-pad et les autres) ou son lecteur électronique de livres.
Le livre traditionnel se raréfie. «Borders», un vaste réseau de grandes librairies aux Etats-Unis vient de mettre la clé sous la porte. Le concurrent «Barnes & Nobles» s’inquiète pour son avenir à court terme. «Amazon» (le leader mondial du commerce du livre sur Internet) écoule de moins en moins de versions «papier» et de plus en plus de fichiers électroniques contenant les textes des ouvrages. Ikéa va s’adapter. La future bibliothèque Billy ne sera plus un mini-temple dévolu à la mémoire de Gutenberg.
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Le second exemple frappant de cette révolution en marche, ce changement profond de civilisation, c’est la crise de la poste. Olivier Besancenot a du souci à se faire.
La poste en France est une de nos plus anciennes institutions, héritage de l’Ancien Régime. On aurait dû y songer quand on a raccourci ce brave Louis XVI. En 1477, Louis XI organise les premiers «relais de poste». En 1576, Henry III améliore sensiblement le système. Au XXème siècle, le télégraphe et le téléphone s’ajoutent au courrier. Plus récemment, en désintégrant l’acronyme PTT, la poste française se reconcentre sur la distribution des lettres et des colis. Mais les temps sont durs.
Le courrier électronique et les SMS font une rude concurrence à la lettre d’amour, à la missive commerciale et à la carte postale. Les catalogues de vente par correspondance ont basculé massivement leur activité sur l’Internet. Même les factures se dématérialisent. De plus en plus de Français ne postent plus leur déclaration de revenus. Ils cliquent sur un clavier.
La poste française est en déficit chronique, malgré les aides publiques. Le plus connue est l’aide de l’Etat à la distribution de la presse, béquille qui soutient aussi l’économie moribonde des journaux. Ceux-ci tentent de trouver un second souffle en s’orientant vers l’Internet, ce qui va encore aggraver les difficultés de la poste. La poste française réduit partiellement son déséquilibre en étant un important établissement financier et bancaire. Mais par les temps qui courent, ce n’est pas une garantie éternelle.
Aux Etats-Unis, c’est bien pire : la poste fédérale est en danger de mort. C’est aussi une institution très ancienne. La poste américaine a été créée par Benjamin Franklin en 1775, juste avant l’indépendance des Etats-Unis. Le poste américaine (USPS – United States Postal Service) a été bénéficiaire jusqu’en 1992. L’inversement de tendance coïncide avec l’apparition de l’Internet grand public dans le pays.
Depuis 1992, l’USPS souffre. Le service est maintenant à l’agonie. Si le Congrès ne met pas la main à la poche avant la fin de l’année, la poste américaine sera en faillite. Et, actuellement, le Congrès est plutôt radin. Il a d’autres trous à combler. La poste américaine accuse un déficit de 9,2 milliards de dollars et il lui manque 5,5 milliards de dollars pour payer la couverture santé de ses retraités. Son activité courrier et colis a chuté de 22% en 5 ans. La poste américaine n’a pas d’activité bancaire ou financière (à la différence de son homologue française). Elle est fortement concurrencée par des sociétés privées efficaces (Federal Express, UPS, etc.) La poste américaine reste le troisième plus gros employeur après le Pentagone et la chaine de grande distribution Walmart. Elle compte encore dans ses effectifs 653.000 personnes (contre 900.000 il y a dix ans).
Parmi les mesures drastiques envisagées pour réduire les coûts : fermeture de 3700 bureaux de poste (sur 31.000), suppression de la distribution postale du samedi, licenciement de 220.000 employés (un tiers des effectifs).
A moins d’un coup de force à la Reagan qu’Obama ne peut pas se permettre, cette saignée sociale semble impossible : les postiers américains, fortement syndicalisés, sont protégés dans leur emploi par leur statut. Mais au pays du réalisme économique, les statuts les plus solides peuvent un jour devenir dangereusement précaires.
Les services postaux des autres pays industrialisés (Canada, Suède, Australie, Suisse, etc.) sont dans une situation comparable, parfois au bord du gouffre.
Billy, la bibliothèque, voit les livres la déserter. Le facteur pourrait connaître un jour prochain le sort du rémouleur, du sabotier et du vitrier, les petits métiers qui n’existent plus que dans le monde enchanté de Jean-Pierre Pernaut.
On le croyait éternel depuis l’apparition de son ancêtre le papyrus, mais le papier, imprimé ou expédié, est en train de s’étioler, comme les feuilles d’automne qui se ramassent à la pelle.
Publié par ANYHOW
Angers Infos