Nathalie Grégoire,
Du secours à l’entraide. Genèse de la Mutualité postale (1879-1930). Paris, Les Cahiers pour l’histoire de La Poste, 2008, 137 pages.
Compte rendu :
L’histoire de la mutualité a connu un démarrage tardif, contemporain de l’apparition de la crise du système de santé au début des années 1980. Initiée par les travaux de Michel Dreyfus, André Gueslin et Bernard Gibaud, elle s’est régulièrement enrichie d’études nouvelles, témoignant de la variété des approches (institutionnelle, sociologique, monographique, comparaisons internationales). Cependant, l’histoire mutualiste est loin de devenir un nouveau genre historiographique. En effet, la multiplication des ouvrages commémoratifs réalisés ces dernières années à la demande des organisations ne doit pas faire oublier que le thème - réputé aride - de la protection sociale ne suscite pas tant de vocations universitaires chez les étudiants en master et les doctorants en histoire.
C’est pourquoi il nous semble opportun de signaler l’ouvrage de Nathalie Grégoire, Du secours à l’entraide. Genèse de la Mutualité postale (1879-1930), issu d’un mémoire de maîtrise réalisé sous la direction de Michel Dreyfus (Paris I, 2005). Si l’histoire de cette mutualité professionnelle a déjà été retracée par Gilles Heuré au cours des années 19901, l’angle d’étude est ici sensiblement différent. L’auteure s’appuie sur le dépouillement de deux corpus d’archives – les bulletins internes des mutuelles et les dossiers de trois générations de personnels – pour montrer comment le cloisonnement catégoriel des œuvres mutualistes, calqué à l’origine sur celui de la main-d’œuvre postière, s’estompe progressivement entre 1879 et 1930. Tributaires des sources consultées, ces dates extrêmes encadrent une période féconde pour l’activité mutualiste postale, sans pour autant correspondre à des tournants décisifs. En effet, Nathalie Grégoire rappelle que le fait mutualiste dans les postes est bien antérieur à 1879, et qu’il s’est développé concomitamment à la mise en place d’une protection sociale minimale pour les fonctionnaires (retraite en 1853, mise à disposition de médecins par l’administration). En plein essor à partir de 1879, date de création de l’Amicale, la mutualité postale reflète la pluralité des conditions de postiers. Bien que recrutant sur l’ensemble du territoire national – ce qui est rare pour la mutualité du 19e siècle – chaque mutuelle cible une catégorie de personnel pour lequel elle pallie la médiocrité des prestations versées par l’État, et développe de nouveaux secours, comme des pensions de réversion pour les veuves et les orphelins.
L’irruption du discours gestionnaire dans les assemblées est un phénomène commun à l’ensemble du mouvement mutualiste dès les années 1880. Toutefois, la mutualité postale se distingue par une traduction précoce de cette tendance dans les pratiques, soit une externalisation de la gestion confiée à des actuaires extérieurs aux sociétés. La création d’une société de lutte contre la tuberculose en 1902 représente la première initiative trans-catégorielle, et le début d’un processus fédératif qui aboutit après la Première Guerre mondiale, en 1923, à la création de la Fédération des sociétés postales de mutualité de France et des colonies. Cette époque d’ouverture de la mutualité à toutes les catégories, est également marquée, sur le plan fonctionnel, par une tendance à l’individuation des prestations résultant de la séparation des risques. On note l’absence totale de collaboration entre mutuelles et syndicats, un grand classique du mouvement social français jusqu’aux années 1930… hormis dans la Fonction publique, en raison de la reconnaissance légale tardive du syndicalisme (1925). Ignorant, dans leurs bulletins, les grèves qui agitent l’administration postale en 1909, les dirigeants mutualistes adhèrent majoritairement à la vision libérale de la prévoyance, allant jusqu’à remettre en question les prérogatives de l’État employeur en matière de protection des personnels.
Les deux derniers chapitres de l’ouvrage sont consacrés à l’analyse socio-biographique de trois générations de postiers mutualistes, fondée sur le dépouillement de 300 dossiers de personnel. L’auteure repère ainsi que les mutuelles perpétuent des formes de sociabilité attractives pour les provinciaux mutés à Paris ; nombre de sociétaires militants sont originaires du Sud-Ouest, ce qui peut confirmer le lien bien connu entre radicalisme et mutualisme. Sans surprise, l’évolution des « cohortes » (terme utilisé dans le jargon administratif) montre une féminisation continue du sociétariat. Les sources utilisées s’avèrent plus opérationnelles pour esquisser des conclusions moins convenues sur les responsables issus des cadres postaux, dont le comportement paternaliste entre constamment en tension avec les règles démocratiques du fonctionnement mutualiste.
On peut regretter l’absence d’une vraie conclusion sur la situation de la mutualité postale au moment où la mise en place des Assurances sociales (1930), qui ne concerne pas les fonctionnaires, ne manquera pas de peser sur les orientations de leurs mutuelles. Ce mémoire brillant, fruit d’une recherche menée avec sérieux et minutie, a le défaut de ses qualités : l’exposition méthodologique, dans les deux derniers chapitres, est un peu fastidieuse pour le lecteur, surtout lorsqu’elle mène à une impasse ; de même, l’usage de termes sophistiqués complique parfois inutilement le propos. Reste que l’ouvrage de Nathalie Grégoire apporte une belle contribution à l’histoire de la protection sociale, et des pratiques solidaires des travailleurs de la Poste.
Patricia Toucas-Truyen
1 G. Heure, Histoire de la MGPTT. Solidarité, le temps des pionniers, 1879-1940, tome 1, Racines mutualistes, Mutualité Française, 1991, et Solidarité, le temps des rassemblements, 1940-1990, tome 2, Racines Mutualistes, Mutualité Française, 1995.
Pour citer :Patricia Toucas-Truyen, «
Compte rendu de Nathalie Grégoire, Du secours à l’entraide. Genèse de la Mutualité postale (1879-1930), 2008 »,
Le Mouvement Social, et en ligne :
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